Mustapha BENMOKHTAR
MUSTAPHA BENMOKHTAR (EX ATTAQUANT ASMO ANNEES 70 ET 80)
MUSTAPHA BENMOKHTAR, LA FORCE TRANQUILLE
Par Mohamed BENZAOUI
Le fait n’est pas banal et mérite que l’on s’y attarde quelque peu. Les fratries ont existé dans le football algérien. Ce qui est moins commun c’est de voir trois ou quatre frères évoluer en club presque simultanément. On peut citer les BANUS à Tiaret , les AIT CHEGOU à Kouba , les CHAIB au MCO ou bien les SERIDI à Guelma. Ce qui est plus rare est de voir quatre membres d’une même famille être en même temps footballeurs de talent et poursuivre avec brio des hautes études universitaires. Bendehiba, Mohamed, Mustapha et Hamida BENMOKHTAR sont de ceux là. Si Bendehiba (futur haut cadre au MJS) et Hamida (économiste) ont choisi de donner la priorité à leurs études et de faire le choix que leur dictait leur conscience. Mohamed et Mustapha auront marqué leur passage au sein du club de l’ASMO. Les deux évoluaient dans des registres différents et possédaient de remarquables qualités intrinsèques. Pourtant leurs trajectoires ont été différentes, car Mustapha aura réussi une carrière qui aurait pu être encore plus brillante s’il n’avait été victime d’une décision inique de décideurs qui auront joué le rôle d’apprenti sorcier.
Nous sommes au mois de novembre 1969. Le festival de rock and roll de Woodstock vient de s’achever au moment où une chape de plomb venue de l’Europe de l’Est s’abat progressivement sur notre pays. La guerre au Vietnam atteint son paroxysme, les Beatles viennent de se séparer et du plat pays Néerlandais le football total et révolutionnaire incarné par un jeune prodige du nom de Johan CRUYFF s’apprête à déferler sur le Vieux Continent.
L ’ASMO elle, vient d’être reléguée en Nationale II et lance sa nouvelle vague dont font partie BELGOT Lahouari, AZZA, RAIS, ANDALOUSSI, BENHASSEN et Mustapha BENMOKHTAR âgé de 17 ans. En ce dimanche automnal les Oranais affrontent sur leur terrain de BOUAKEUL l’une des plus redoutables formations du moment : le GCMascara emmené par MAHI. Mustapha fait son entrée et son baptême du feu à la mi- pour essayer de redresser une situation compliquée. Il n’y parviendra pas mais il allait signer un long bail à la pointe de l’attaque « asémiste ». Avec un physique impressionnant et un air faussement nonchalant il se révèlera comme un excellent technicien qui possédait, malgré ses apparences, une vivacité dans le dernier geste : celui du buteur et finisseur redoutable. Jouant souvent à la pointe de la division offensive de son équipe il préférait pourtant partir de loin et remonter le terrain pour trouver la meilleure position d’où il pouvait déclencher ses frappes lourdes et sèches. Son gabarit lui permettait de jouer sans ballon et de mieux démarquer ses coéquipiers en leur libérant des espaces. Rapidement Mustapha devint un problème insoluble pour les défenseurs les plus impitoyables du pays qui savaient que de son efficacité dépendait souvent la clé du match. Possédant un bon jeu de tête il était l’archétype de l’attaquant moderne. Appelé en équipe nationale juniors, espoirs et universitaire à maintes reprises il pouvait aspirer à mieux. Mais les attaquants de qualité étaient nombreux à postuler à une place au sein du Club Algérie qui prenait souvent les allures d’une chasse gardée. A l’avènement de la réforme de 1977 alors qu’il n’avait que 25 ans un banal incident avec son entraineur fut grossièrement amplifié et prit des mesures disproportionnées. Le nouveau code de l’EPS qui visait à sécuriser et à protéger l’athlète de performance et à lui offrir un cadre approprié d’épanouissement allait en faire sa première victime. Gracié quelques temps plus tard le ressort était visiblement cassé et dans l’affaire c’est surement notre football qui en pâtit car s’il fut l’un des premiers à faire les frais de cet arbitraire il n’en était hélas pas le dernier. Son tempérament, son caractère bien trempé et son franc parlé lui ont surement valu certaines inimitiés dans un milieu pas souvent au dessous de tout soupçon. Mais lui se montre sans concessions dès lors qu’il s’agit de défendre des postions de principe. Discuter avec Mustapha et se replonger dans un passé où régnait une forme d’insouciance et de bien être jovial, offre l’avantage de faire une lecture intellectuelle du plus populaire des sports , d’où sont exclus les banalités et les vues étroites de l’esprit.
« J’AI ETE VICTIME D’UNE SANCTION TROP SEVERE »
90 minutes : Mustapha, pour ne pas déroger aux règles en usage je vais te laisser te présenter et retracer pour nos lecteurs ton itinéraire footballistique.
Mustapha BENMOKHTAR : je suis né à Oran le 21 Septembre 1952 à ORAN. Mes premières armes dans le football je les ai faites dans la rue dans les terrains vagues et à l’école. C’est sur l’insistance de mon frère ainé Mohamed que j’ai signé à l’ASMO en 1966. J’étais minime 2° année et c’est Abdelkader REGUIEG (Pons), qui supervisait les présélections durant l’inter saison qui m’a retenu après un essai qui n’a pas duré plus de dix minutes. Mes entraineurs étaient Boudadi MOUSSA et Djillali BOUHADJAR. Ma carrière à laquelle j’ai mis un terme en 1983 je l’ai effectuée globalement à l’ASMO si l’on excepte les années où j’ai été contraint de signer pour d’autres clubs. En 1976, année où notre club a été relégué j’ai opté pour l’ASOChlef car je devais effectuer mon service national. Et entre 1978 et 1981 j’ai évolué successivement au NADIT ORAN, à l’USMBA, au CCSig avant de la finir de nouveau au CCSig.
90 minutes : à ce propos je crois que tu peux nous détailler ce qui s’est passé au juste et pourquoi tu as quitté l’ASMO.
Mustapha BENMOKHTAR : Je n’ai quitté l’ASMO (qui s’appelait ASCO à l’époque) ni de mon plein gré ni de gaité de cœur. A l’avènement de la réforme et après mon retour au bercail, nous avions comme entraineur ZAVIDONOV. J’ai eu un incident somme toute banal avec lui. Un incident comme il s’en produit des dizaines chaque jour dans les clubs. J’ai été sanctionné par l’administration qui a établi un rapport à la tutelle. Et la sanction a été sévère car on m’a carrément privé du statut d’athlète de performance. De ce fait je ne pouvais prétendre jouer au plus haut niveau. J’avais 25 ans à peine et j’arrivais à la plénitude de mes moyens. Je n’avais pas le choix et j’ai été obligé de jouer en division inférieure. L’USMBA a fait appel à moi et au terme de la saison nous avons accédé en division supérieure. J’ai fait une année remarquable inscrivant beaucoup de buts et participant grandement au titre. C’est là que se situe l’aberration et l’entêtement du Ministère : empêcher un joueur qui a accédé sur le terrain de pouvoir évoluer avec son club. C’est disproportionné par rapport à la faute commise et j’avais l’impression que l’on voulait faire de moi un exemple. En plus mon club avait passé outre. Pourquoi m’a t- on cassé alors ? Finalement quand on m’a blanchi le ressort était brisé et en plus l’ASMO se débattait dans des problèmes de gestion interne. J’ai donc hélas raté les deux finales de Coupe jouées et perdues. Cette période reste comme le plus mauvais souvenir de ma carrière avec la demi-finale de Coupe d’Algérie en 1975 contre le MOC. J’avals raté mon match ce soir là.
90 minutes : mais il y en a de plus gais je suppose ?
Mustapha BENMOKHTAR : D’abord le fait d’avoir évolué à une époque où on avait cette joie de jouer, cette passion qui nous dévorait. Et puis nous avions la chance de côtoyer ou d’affronter de grands joueurs. Nous avions des dirigeants respectueux et respectables. Là je pense inévitablement à Larbi GASMI, REGUIEG (un modèle) , BENDIDA, BELKAID, Hamida TASFAOUT, HABI, BERRAHAL,OUAHRANI, BEKHLOUFI ,MEKSI, BEKHIRA, SELGUIA, Ahmed AMAR , Mokhtar BOUHIZEB , BENYEBKA , BOUSSETTA, HACHEMAOUI( Abdellali) Habib YOUCEF, HEBIRI, KHALFI, BENDADECHE, Hadj BAGHDAD, Hadj TAYEB, CHOUIDLA, KHALFI, HADEFI .Le public était connaisseur sportif et fidèle. Il nous soutenait jusqu’au bout. Même si nous n’avons pas gagné de titres nous avons réalisé de grandes rencontres contre les équipes les plus huppées du pays : le MCO, le MCA, la JSK, le CRB ou bien contre Mascara, Tlemcen, Tiaret. J’avais à peine 18 ans quand je me suis frayé une place de titulaire et malgré cela j’ai été couvé encouragé et soutenu par les anciens, ceux qu’on appelle communément les cadres de l’équipe. J’ai connu également les sélections juniors et universitaires. Presque tous d’entre nous ont réussi une belle carrière comme BRANCI, ALLILI, SELLAMI, GAMOUH, ABDOUCHE, KEDDOU, SAADANE, SETTAOUI, TITRI, AKLI, RADOUI, ATTOUI, TLEMCANI, GRICHE, BARKAT.
90 minutes : comme tu suis toujours l’actualité du football sans t’impliquer directement dans un domaine technique ou la gestion tu peux donner ton avis sur le niveau actuel.
Mustapha BENMOKHTAR : par le biais de la télévision ou de la presse oui je le suis. Je vais utiliser un raccourci pour te répondre : je peux te citer sans réfléchir une seconde dix excellents joueurs par poste qui évoluaient à notre époque. Ce qui en fait au bas mot plus d’une centaine. A l’inverse j’aurais de la peine à en trouver autant qui évoluent dans nos championnats locaux.
« LE FOOTBALL DOIT REVENIR AUX FOOTBALLEURS »
90 minutes : selon toi on est vraiment dans la bonne voie pour s’engager dans le professionnalisme ?
Mustapha BENMOKHTAR : c’est hâtif de vouloir juger une expérience qui n’en est qu’à ses débuts. Il faut laisser venir les choses et apporter les correctifs ensuite. Ce que j’attends du professionnalisme c’est de voir le football revenir aux footballeurs et aux véritables gestionnaires intègres et compétents. C’est de voir les pouvoirs publics contrôler de façon rigoureuse les comptes et les bilans des SPA sanctionner ceux qui s’inscriraient en porte- à –faux. Si on réussit à faire appliquer les lois comme il se doit et barrer la route aux opportunistes et affairistes de tous bords, qu’on arrive à relancer la formation de base on pourra dire qu’une bonne partie du chemin a été accomplie. Il faut en finir avec ceux qui ont fait main basse sur les clubs en s’octroyant leur patrimoine historique, culturel et matériel. Ils ont en fait des fonds de commerce et en tirent des dividendes juteux sans investir le moindre centime. Pire encore : ces mêmes personnes sont parvenues à éliminer par tous les moyens possibles ceux qui ont écrit l’histoire de ces clubs. Ils ont oubliés ou ne savent pas par manque de culture que ces associations sont nées dans la douleur et au prix de sacrifices immenses. Est-ce le hasard qui fait que les clubs qui sont gérés par des hommes de terrain, intègres et consciencieux soient ceux qui se partagent les titres depuis le désengagement de l’Etat ?
90 minutes : et si l’on te faisait appel ?
Mustapha BENMOKHTAR : j’aurais bien aimé apporter ma contribution ma touche personnelle et mes connaissances en matière de gestion dans le chantier mis en place, mais on ne l’a pas fait de façon concrète et effective jusqu’à présent. Les gens me connaissent parfaitement. Ils savent que je ne suis pas quelqu’un que l’on peut manipuler ou à qui l’ont peut imposer ses conceptions. Ils connaissent mon franc parlé et mon tempérament. Je ne fais pas partie de ceux qui renient leurs principes ou pactisent avec le diable. Dans ces conditions je risque de déranger. Si nos points de vue convergent je ne refuserais pas. Si nos objectifs respectifs divergent, il est préférable de se tenir à distance respectable
90 minutes : tu fais partie du cercle assez retreint de ceux qui ont pu concilier avec plus ou moins de bonheur études universitaires et la pratique sportive. Comment y est tu parvenu et as-tu été confronté à un choix ?
Mustapha BENMOKHTAR : nous avons été les quatre frères dans ce cas. C’est notre environnement familial. Ma mère ne badinait pas avec les études et mon père qui a joué au football et l’aimait nous a encouragé car le sport est le complément idéal pour une vie saine. Je n’ai donc pas eu à faire un choix et ce problème ne s’est jamais posé. Si cela avait eu lieu je crois que j’aurais choisi le football. Mes frères Mohamed et Bendehiba eux ont fait des choix qu’ils ont pleinement assumés. Les aller et venues vers l’Etranger pour finir leurs études ont entravé leur carrière sportive mais au moins, ils n’auront pas lâché la proie pour l’ombre, car le football ne nourrissait pas son homme à l’époque. Hamida lui a été un peu désabusé par le milieu et a préféré carrément assurer.
90 minutes : concrètement que t’a apporté au bout du compte le football ?
Mustapha BENMOKHTAR : sur le plan matériel, pas grand chose. Cela m’a permis au mieux de ne plus dépendre pécuniairement de mes parents. Sur le plan humain c’est enrichissant car tu rencontres des gens de toutes les classes de la société et tu vois du pays aussi. Ca peut te conférer une certaine notoriété et célébrité, car la gloire elle, était difficile à atteindre à une époque ou la médiatisation à outrance n’existait pas encore. Et quand bien même, tu sais que la gloire est éphémère et frivole.